Historique sommaire de la répression « judiciaire » de l’insurrection de Juin 1848
1. L'impératif de la « sûreté générale » : une justice d'exception
2. Le concours de la magistrature
3. Détentions avant jugement : caveaux, prisons, forts
4. Les Commissions militaires
5. Une procédure administrative
6. Une majorité de décisions de liberté
7. Les conseils de guerre
8. Détention des condamnés à la transportation
9. Mesures de clémence
10. Les transportés en Algérie
La répression de l'insurrection ouvrière de Juin 1848 est d'abord conduite comme une opération de guerre, avec pour objectif le démantèlement des barricades érigées dans les rues de la moitié Est de la capitale. Elle est dirigée par Eugène Cavaignac, ministre de la Guerre, nommé chef du pouvoir exécutif le 24 juin quand l'état de siège est voté par l'Assemblée nationale. À la tête des troupes de ligne, des légions de la garde nationale fidèles au gouvernement, de détachements de gardes nationaux venus de province et de la garde mobile, Cavaignac est maître de la situation au soir du 26 avec la prise des dernières barricades du faubourg Saint-Antoine. Plusieurs milliers d'insurgés sont tués, soit au combat, soit exécutés sommairement lors de la prise des barricades.
L'impératif de la « sûreté générale » : une justice d'exception
Avant même la fin de l'insurrection la question des modalités de la répression judiciaire a été posée. En vertu du décret mettant en état de siège la ville de Paris, Cavaignac avait arrêté le 26 que « Le pouvoir de constater tous crimes ou délits dans l'étendue de la ville de Paris, d'en rechercher et d'y faire punir les auteurs conformément aux lois, est délégué aux officiers de police judiciaire. Ce pouvoir sera exercé sous la direction de l'autorité militaire ». Dans la foulée, il prend un arrêté ordonnant aux capitaines rapporteurs de commencer l'instruction « contre les fauteurs de l'insurrection et de les traduire devant les conseils de guerre ». Le même jour, à l'Assemblée nationale, un projet de décret – ayant fait l'objet d'échanges la veille, le 25 juin, entre son président Antoine Sénard et Cavaignac – sur la déportation outre-mer de « tout individu pris les armes à la main » est soumis à une commission. On semble alors se diriger vers une répression de droit commun, devant les juridictions existantes, conseils de guerre pour les « instigateurs » et « chefs » de l'insurrection, tribunaux criminels pour les insurgés pris les armes à la main, la déportation étant une peine politique inscrite dans le Code pénal.
Déjà le jugement de civils par la justice militaire entre en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts des 29 juin, 12 et 19 juillet 1832) sur ce point. Mais surtout l'importance du nombre de prisonniers – estimés être alors 5 000 et 6 000 – va conduire la commission parlementaire à proposer à la discussion des représentants le 27 une mesure de sûreté générale : la transportation de « tous les individus actuellement détenus qui ont pris part à l'insurrection… », l'instruction commencée devant les conseils de guerre suivant son cours pour « les chefs, fauteurs ou instigateurs ». Les représentants de la gauche s'opposent en vain à une répression d'exception. Baune, député de la Loire ne veut pas voir « revivre des tribunaux d'exception » et dénonce le retour aux « déportations en masse » d'une autre époque. Sarrans, représentant de l'Aude, repousse de toutes ses forces « les lois de proscription ». Caussidière refuse la vengeance et demande pour la justice « une investigation plus sage, plus réservée », afin qu'elle « suive son cours naturel ». Mais tous les amendements proposant de faire intervenir l'autorité judiciaire dans l'application de la mesure de transportation (constat judiciaire du flagrant délit, déclaration par voie judiciaire de la participation à l'insurrection, création d'un tribunal particulier) sont écartés par le rapporteur de la Commission, Vivien qui avance comme une objection « sans réplique » l'impossibilité de leur exécution. Devant le nombre d'individus sur le sort desquels il faut statuer, « l'intervention de l'autorité judiciaire, avec ses plaidoiries, avec la publicité, avec toutes les formes consacrées par nos lois criminelles est complètement impossible ». La « sûreté publique » impose – dans un véritable état de guerre flagrante déclarée à l'état social – une mesure administrative : l'examen et la vérification des charges imputées aux inculpés « doivent donc être faits dans des formes spéciales », sous l'autorité du pouvoir exécutif qui « devra consulter des commissions qui se livreront à un examen sommaire » avant de déterminer s'il y a lieu à appliquer l'article premier du décret adopté le 27 juin au terme du vote des représentants. Seront donc transportés « par mesure de sûreté générale » dans les colonies outre-mer « autres que celles de la Méditerranée » les insurgés détenus « reconnus avoir pris part à l'insurrection du 23 juin et jours suivants » (art. 1er), le pouvoir exécutif étant chargé de l'exécution de la mesure (art. 4), l'instruction devant les conseils de guerre suivant son cours, même après la levée de l'état de siège, pour les « chefs, fauteurs ou instigateurs de l'insurrection, comme ayant fourni ou distribué de l'argent, des armes ou des munitions de guerre, ayant exercé un commandement, ou commis quelque acte aggravant leur rébellion » (art. 2).
La Cour de cassation, saisie par le pourvoi d'une centaine de transportés, donne sa caution à l'éviction de la justice ordinaire, rejetant la demande au motif que si elle est compétente pour casser des jugements, elle ne l'est plus pour apprécier les décisions de transportation qui relèvent du seul pouvoir exécutif. Elle refusera également d'accepter les pourvois de condamnés des conseils de guerre fondés sur leur incompétence à l'égard de civils jugés pour des délits politiques, considérant que les crimes jugés n'ont pas de caractère politique.
Le concours de la magistrature
Toutefois, si les juridictions de droit commun sont écartées, la répression se fait avec le concours de la magistrature, en particulier parisienne. Le rôle du procureur général de Paris, Hyacinthe Corne – député du Nord, appartenant à la gauche modérée, il a été nommé le 17 juin 1848 à ce poste – apparaît déterminant à suivre sa correspondance échangée avec le ministre de la Justice. Dès le 23 juin des juges d'instruction et substituts du tribunal de la Seine ont été envoyés aux Tuileries et à la Conciergerie pour commencer l'information en interrogeant les premiers prisonniers. Ils vont transmettre ces premières investigations aux officiers rapporteurs qui commenceront à travailler deux jours après. Surtout, le nombre de prisonniers est tel que la justice militaire est rapidement débordée. Les conseils du parquet général vont grandement aider à l'organisation matérielle de l'instruction. D'abord en suggérant de donner des ordres pour que les chefs de patrouille consignent dans un rapport l'identité des prisonniers, les lieux et circonstances de leur arrestation et les éléments à charge (armes et objets trouvés sur eux) afin de recueillir les preuves indispensables à l'action de la justice. Ensuite, en fournissant un nombre important de magistrats pour aider les rapporteurs militaires : substituts et juges d'instruction de la Seine, des magistrats du siège non requis par le service des audiences vont participer activement à l'instruction en compagnie d'officiers de la garde nationale choisis parmi les avocats et avoués. Cette mobilisation du personnel judiciaire va s'étendre jusqu'au suppléant de justice de paix. Le 28 juin, le procureur général suggère au général commandant la 1ère division militaire de centraliser les informations conduites dans les divers lieux où sont rassemblés les prisonniers : un officier, le colonel Bertrand, et un juge d'instruction de la Seine, Haton de la Goupillère, qui a déjà procédé à une partie de l'instruction de la manifestation du 15 mai 1848, vont s'installer le lendemain au Palais de Justice, dans le local affecté aux archives judiciaires, pour remplir cette tâche.
Détentions avant jugement : caveaux, prisons, forts
Les insurgés arrêtés pendant l'insurrection sont d'abord détenus dans une douzaine de prisons ou édifices en tenant lieu : au 26 juin, selon le rapport du procureur général, plus de 6 000 individus sont dans les prisons de la Conciergerie (400), de Saint-Lazare (300), des Madelonnettes (200), de Sainte-Pélagie (200) et à l'Hôtel de Ville (700), dans les caveaux des Tuileries (700), à la Préfecture de Police (200), dans les casernes de Tournon (1 200) et de la Nouvelle France, dans les mairies (5e et 6e arrondissements), ou encore à l'Assemblée nationale, à l'État-major de la place et au Luxembourg. L'afflux de prisonniers est tel que l'on a songé à utiliser des églises ou même la prison de la nouvelle Force, récemment construite, mais l'aménagement intérieur n'étant pas terminé on y a renoncé de crainte des évasions, d'autant que le quartier de Saint-Antoine où est situé cet édifice apparaît peu sûr. Dès le 26, Corne suggère au chef du pouvoir exécutif d'utiliser les forts entourant la capitale. Le vice-président de l'Assemblée nationale, de Cormenin, chargé par Cavaignac de constituer une commission sanitaire (composée de représentants, magistrats et médecins, elle prendra le nom de Commission des prisons politiques) pour visiter ces prisons rend compte dans plusieurs rapports des conditions déplorables dans lesquelles se trouvent les détenus, notamment pour ceux entassés dans les caveaux humides. Les craintes du typhus dans les caves et souterrains et surtout la poursuite des arrestations qui augmentent continuellement le nombre de détenus emportent la décision et les prisonniers vont être partiellement transférés dans les derniers jours de juin et dans la première quinzaine de juillet dans les forts militaires. Cela se fait au début dans une certaine improvisation : le commandant du fort d'Ivry avait jugé bon d'enfermer les prisonniers dans les carrières – situés sous le fort – ayant pour seule communication avec l'extérieur deux puits d'aération. Au 9 juillet, la Gazette des tribunaux donne le chiffre de 14 000 détenus incarcérés dans les forts de Vanves (1 000 prisonniers), Montrouge, Ivry (1 500 prisonniers), Mont-Valérien, Issy et Vincennes ainsi que dans les prisons parisiennes, à l'École militaire, à la caserne de Tournon et à la Préfecture de police. Le Moniteur du 14 août donnera un état des détenus s'élevant encore 8 258 individus, hommes et enfants détenus dans les forts et quelques prisons (Saint-Lazare, maison de justice et dépôt de la Préfecture de police), les plus nombreux se trouvant aux forts de l'Est (770), d'Aubervilliers (728), Romainville (611), Noisy-le-Sec (868), Vanves (853), Bicêtre (1 111), Ivry (1 254) et Charenton (384). Un mois après, au 15 septembre, 2 483 inculpés figurent encore sur les listes de détenus.
Les Commissions militaires
Le rapport de Vivien, lors de la discussion du décret de transportation à l'Assemblée nationale le 27 juin, avait suggéré que l'exécutif prenne les décisions de transportation en consultant des « commissions » qui auraient procédé à l'examen sommaire des charges retenues contre les inculpés. Corne reprend l'idée le 5 juillet, au vu des premières informations achevées. Compte tenu du nombre considérable d'individus arrêtés, il propose d'abord que l'on commence à statuer rapidement, sans attendre que toutes les procédures particulières soient terminées, afin de ne pas nuire à la « bonne administration de la justice » (entendons la célérité nécessaire de la répression). Il reprend ensuite l'avis des deux magistrats centralisant l'information au Palais de Justice (le colonel Bertrand et le juge d'instruction Haton) d'organiser une « commission purement militaire pour examiner les procédures terminées et statuer sur le sort des insurgés ». Cette commission jouerait le rôle d'une « chambre du conseil » et classerait les inculpés en trois catégories : ceux contre lesquels il n'existe aucune charge seraient sur le champ remis en liberté, ceux qui sans avoir joué un rôle important seraient susceptibles d'être transportés et ceux justiciables des conseils de guerre. Ces préconisations sont acceptées et quatre commissions militaires sont instituées par arrêté du 9 juillet du chef du pouvoir exécutif. Elles sont composées chacune de trois militaires, dont un officier supérieur président (art. 1er). Ces commissions statuent, après examen des dossiers, ayant le choix entre trois décisions possibles : mise en liberté, transportation, renvoi devant les conseils de guerre (art. 2).
Les commissions militaires se réunissent au Palais de Justice. Il faut attendre plus d'une semaine pour qu'elles se mettent en place, les premières décisions en nombre étant rendues à partir du 18 juillet. Très vite on se rend compte que même en allongeant la durée des séances journalières, en siégeant continuellement, y compris dimanches et jours de fêtes, les quatre commissions, au rythme d'une vingtaine de dossiers examinés par jour pour chacune, n'auront pas terminé leur tâche avant quatre mois. La nécessité de conserver le caractère de célérité à la répression comme celui d'abréger la détention de ceux qui seront reconnus innocents entraîne la création de 4 nouvelles commissions le 20 juillet. Elles rentreront vraiment en fonction à partir du 1er août. Les huit commissions vont travailler pendant près de trois mois, les dernières décisions étant rendues le 14 octobre.
Une procédure administrative
La procédure est administrative. L'un des membres de la commission fait office de rapporteur en lisant les pièces, l'officier supérieur président recueillant ensuite le vote de ses collègues, en commençant par le grade inférieur ou le plus jeune grade, émettant lui-même son opinion en dernier. Le nombre impair des juges fait que le président n'a pas voix prépondérante. Les décisions sont donc prises au vu des seules pièces du dossier. La minute des décisions montre qu'il n'y a pas de motivation, si ce n'est la répétition des termes du décret instituant les commissions : tel inculpé sera transporté « ayant participé à l'insurrection », tel autre libéré « faute de charges suffisantes ». Les pièces du dossier sont plus ou moins nombreuses selon les difficultés de l'enquête : procès-verbal d'arrestation, rapports de police, dépositions de témoins, objets (armes, munitions) et correspondances saisis, interrogatoire, lettres de parents et certificats de voisins, employeurs, propriétaires attestant de la bonne conduite de l'inculpé. Les éléments à charge sont fournis essentiellement par l'examen fait lors de l'arrestation ou peu de temps après dès lors qu'il s'agit de prouver la participation à l'insurrection. Ainsi une note destinée aux magistrats instructeurs – émanant semble-t-il du parquet général – énumère minutieusement les traces laissées par le combat sur les corps :
Vérifier
si les prisonniers ont les
lèvres ou les mains noircies de poudre
Des grains de poudre peuvent
être demeurés dans les rides ou crevasses de mains calleuses
Le pouce qui a servi à armer le
chien du fusil doit porter quelquefois une écorchure, les plus souvent une
ecchymose
L'éclat des capsules lance avant
des fragments qui écorchent la partie supérieure de la main et du pouce
Le dessous des ongles, les plis
de la chair qui les entourent peuvent encore receler des traces de poudre
Les poches des vêtements doivent
être fouillées sérieusement, elles peuvent contenir quelques grains de poudre
ou des capsules
Le recul du fusil a pu produire
à l'épaule sur laquelle la crosse s'est appuyée une contusion.
Les vêtements peuvent être
percés par les balles : trou rond morceau emporté
L'oreille placée près de la
crosse du fusil doit dit-on subir l'odeur de la poudre 8 jours encore après le
feu.
On trouve également parmi les pièces du dossier des extraits des sommiers judiciaires, le fantasme d'une insurrection animée par d'anciens forçats et autres criminels étant très répandu au lendemain des journées de juin. Cette recherche particulièrement laborieuse dans les sommiers de la police a contribué à retarder notablement la clôture des dossiers d'enquête. La presse finira rapidement par reconnaître que les inculpés ayant des antécédents judiciaires sont une infime minorité : seulement une centaine sur 7 000 pour lesquels la « vérification d'individualité » a été opérée, note le Journal des Débats du 13 juillet 1848.
Une majorité de décisions de liberté
La décision de liberté concerne la majorité des inculpés. Déjà sur un total de 11 662 inculpés, plusieurs centaines d'entre eux – 827 – ne passent pas devant une commission militaire, étant remis en liberté sur ordre du « Général président » (Cavaignac) ou par décision du juge d'instruction prononçant un non lieu (mais le terme est aussi utilisé quand la décision émane du chef du pouvoir exécutif). Au vu de plusieurs dossiers emportant cette décision rapide, il semble que l'absence évidente de charges en soit le motif essentiel, mais la recherche reste à faire pour comprendre pourquoi ces inculpés évitent d'attendre le passage devant les commissions. Celles-ci, compte tenu de ces libérés et des décédés avant jugement (55) statuent sur le sort de 10 780 inculpés. Leurs décisions sont les suivantes : 6 255 inculpés (58 %) sont remis en liberté, 4 276 seront transportés (39,7 %) et 249 (2,3 %) renvoyés devant les conseils de guerre.
Les premiers sont libérés dans les 24 heures suivant la décision. Reconnus innocents, ils ont passé, pour un nombre important, un mois ou plusieurs mois dans les prisons et autres forts. Si l'on en juge par les seuls qui seront condamnés à la transportation (pour lesquels nous connaissons la date d'arrestation dans les sources utilisées), la médiane pour les durées d'incarcération est de 41 jours, 22 % étant détenus moins d'un mois, 45,7 % entre un et deux mois, 31,4 % entre deux et trois mois.
Les conseils de guerre
Au nombre de renvois devant les conseils de guerre, il faut ajouter ceux qui sont traduits directement devant ces juridictions militaires, soit un total de 258 inculpés. Il possible qu'il y ait également 7 inculpés supplémentaires dont la décision « conseil de guerre » des commissions militaires n'est pas suivie de mentions relatives à un verdict de conseil de guerre dans le registre F/7/2585.
Deux conseils de guerre de la 1ère division militaire vont juger, à partir d'août 1848 jusqu'à mai 1849, ces insurgés considérés comme chefs ou instigateurs de l'insurrection ou comme ayant fabriqué ou fourni des munitions de guerre. La procédure est contradictoire, proche de celle se déroulant aux assises, la réforme des parquets militaires entrée en vigueur au 1er août 1848 allant dans ce sens. L'accusé est introduit aussitôt après l'appel de la cause, assistant, en compagnie de son avocat, à la lecture des pièces de l'information par l'officier rapporteur en charge de l'instruction. Le président procède ensuite à son interrogatoire, puis le conseil entend les dépositions des témoins. Le commissaire du gouvernement (ministère public) suit les débats et soutient l'accusation. Le rapporteur instructeur qui jouait auparavant ce rôle a désormais des fonctions équivalentes à celles des juges d'instruction des tribunaux de droit commun. Le ministère public est maintenant écarté de la délibération à huis clos du conseil. Les juges délibèrent sur la culpabilité, à la majorité de cinq voix contre deux, trois voix étant suffisantes pour prononcer l'acquittement de l'accusé. La culpabilité admise, on met aux voix les conclusions relatives à la peine formulées en audience publique par le commissaire du gouvernement. Si aucune majorité ne se dessine, la peine la plus douce est prononcée.
Près de 30 % (76) des accusés sont remis en liberté, un quart condamnés aux travaux forcés (dont 17 à perpétuité, 45 à temps dont 23 à 10 ans et 16 à 20 ans), un sur cinq étant condamné à des peines d'emprisonnement (les durées d'un ou deux ans étant les plus nombreuses) et autant à la détention. Les autres peines sont exceptionnelles : 2 réclusion et 3 peines de boulet (pour des militaires). Parmi les 5 condamnés à mort (inculpés du meurtre du général Bréa), trois (Chopard, Noury et Vappreaux) ont leur peine commuée le 15 mars 1849 en travaux forcés à perpétuité, deux (Lair et Daix) sont exécutés place d'Italie le 17 mars 1849.
Détention des condamnés à la transportation
Les condamnés à la transportation vont être dirigés sur les ports de l'ouest en attendant que l'Assemblée nationale ait fixé les modalités du « régime spécial auquel seront soumis les individus transportés », lesquelles ne seront déterminées que lors du vote de la loi du 24 janvier 1850 fixant pour destination l'Algérie aux transportés.
Dès que les commissions militaires ont prononcé cette mesure, on pense à regrouper ces transportés dans des établissements situés sur le littoral. Le choix va se porter sur quelques forts (île Pelée et Hommet à Cherbourg, citadelle de Port-Louis) et des pontons (navires désarmés) mouillant dans les ports de Brest (L'Uranie, La Belle Poule, La Didon et La Guerrière), Cherbourg (Le Triton) et Lorient (La Sémillante). Le premier départ a lieu pendant la nuit du 5 au 6 août. Sur plus de 500 détenus prévus, plus d'une centaine manquent à l'appel parce qu'on n'avait pas pris en compte, pour établir la liste de ce convoi, les transferts de prisonniers entre forts de la capitale réalisés les jours précédents. Les prisonniers sont conduits à la gare d'Asnières où ils sont répartis entre plusieurs trains, dans les wagons desquels ils sont attachés par trois, surveillés par des gardes. Arrivés au Havre, ils sont conduits près de la citadelle, sous escorte de la garde nationale, pour embarquer sur la frégate Ulloa présente dans un bassin proche, à destination de Brest. Les convois suivants, lors de la formation et sur le trajet à destination de la gare d'Asnières sont souvent accompagnés par les familles des transportés. Ils prennent le train pour Le Havre dans les nuits des 17, 20, 28, 29 août et dans celles des 2, 12, 23 et 28 septembre. Ces transportés vont rester quelques mois dans ces forts et pontons de l'Ouest, en attendant d'être transférés, au début de février 1849, dans la prison de Belle-Île-en-Mer : le répertoire de ce centre de détention indique que 1 207 transportés y séjourneront, dans l'attente de l'envoi dans une colonie d'outre-mer.
Mesures de clémence
En fait, lorsque la loi du 24 janvier 1850 décide que « tous les individus actuellement détenus à Belle-Île, et dont la transportation a été ordonnée en vertu du décret du 27 juin 1848, par suite des décisions des commissions instituées par le pouvoir exécutif, seront transférés en Algérie », le nombre de détenus à Belle-Île a diminué de plus de moitié par rapport au début de l'année précédente, du fait des grâces accordées. Les mesures de clémence ont commencé à être accordées, en nombre, dès novembre 1848 (voir les statistiques). De tradition dans une répression politique, après avoir frappé fortement et rapidement les vaincus d'une insurrection, elles veulent répondre également aux demandes de l'opposition démocratique et des familles des détenus. La Gazette des tribunaux du 20 août 1848 fait ainsi état de la rumeur d'une manifestation énorme de femmes – on parle de 100 à 150 000 femmes venant des faubourgs et de la banlieue ! – devant converger vers l'Assemblée nationale pour y déposer une pétition en faveur de l'amnistie. Une autre manifestation féminine avec le même objectif aura lieu au début novembre.
Cette politique de clémence va se faire en plusieurs étapes. D'abord, dans les premiers jours d'octobre 1848 une Commission est formée pour soumettre à un nouvel examen les dossiers des transportés. Composée de magistrats de la Cour de cassation, de la cour d'appel de Paris et du tribunal de la Seine, elle se divise en dix comités (ou Conseils de clémence) pour examiner, au seul vu des dossiers, s'il y a lieu à un recours en grâce en faveur de certains détenus. La presse évoque, à la fin du mois, le chiffre de 965 détenus recommandés à la clémence du pouvoir exécutif. On parle également de listes pour des grâces plus tardives. De fait, les grâces accordées jusqu'à la fin de l'année (un plus d'un millier d'octobre à fin décembre) correspondent aux propositions de cette commission judiciaire.
Ensuite, dans les premiers jours de novembre 1848, une nouvelle Commission est instituée, composée de Victor Foucher, conseiller à la cour d'appel de Paris, de Haton, juge d'instruction et de Charles Lucas, inspecteur général des prisons, dans le but de mettre à exécution les mesures de clémence prises par le gouvernement. Sa première tâche a été de faire mettre en liberté les individus que la précédente commission a considérés comme pouvant être élargis. Les trois commissaires doivent en outre désigner à la clémence du Gouvernement « tous ceux des détenus qui ont donné, depuis leur détention, des gages de leur retour aux idées d'ordre et de respect aux lois » (Gazette des tribunaux, 6 et 7 novembre 1848). Pour les autres, il leur est demandé de les classer en trois catégories : « 1° ceux qui paraissent disposés à entrer dans une meilleure voie, et qui peuvent être ultérieurement l'objet d'une mesure de clémence; 2e ceux dont le retour au bien est incertain; 3e ceux qui paraissent décidément incorrigibles ». Pour ce travail les commissaires vont se rendre dans les lieux de détention, à Brest, Lorient, Cherbourg, puis Belle-Île, leur mission impliquant d'interroger les prisonniers pour juger de leur état d'esprit à l'égard du gouvernement. Le petit nombre de commissaires et l'ampleur du travail comme, probablement, la volonté de compter sur la lassitude des détenus tardant à « revenir au bien », expliquent sans doute une chronologie espacée des grâces accordées : près de 400 au premier trimestre 1849, 350 en juin et juillet, près de 240 en septembre, 900 dans les deux dernières mois de l'année, les dernières (296) étant accordées le 28 février 1850 après avoir établi la liste des transportés en Algérie. Les propositions de la commission Foucher semblent toujours suivies et l'on voit même, à Belle-Île, les détenus libérés quelques jours avant le décret de grâce.
Les transportés en Algérie
Il reste 459 insurgés – 459 plus trois détenus dont la mise en liberté a été annulée, selon l'étude de Louis-José Barbançon (Les transportés de 1848 (statistiques, analyse, commentaires)) parue dans Criminocorpus. Revue hypermédia. Histoire de la justice, des crimes et des peines, http://criminocorpus.revues.org/148) – qui vont être effectivement transportés en Algérie. La Commission des mises en liberté dresse – probablement fin novembre 1849 – deux listes d'insurgés auxquels il est décidé l'application de la loi de transportation, une des « repris de justice » et une autre des « dangereux » (au plan politique). La première liste comprend initialement 236 noms, la seconde, 225 inculpés estimés « dangereux ». Des modifications interviennent suite à des grâces (accordées le 11 décembre 1852), à des ajouts et à un décès avant départ (Dorion Amédée Victor) : 459 insurgés vont être effectivement transportés en Algérie. Ils partent de Belle-Île le 20 février 1850 sur les vaisseaux L'Asmodée et le Gomer, ayant chacun 224 transportés à bord. Un dernier départ a lieu de Port-Louis le 8 avril 1850 pour les 11 inculpés restés en France acquittés par la cour d'assises du Morbihan où ils sont jugés sur la prévention de rébellion (10 d'entre eux) et tentative d'assassinat (Girard Joseph).
L'étude des observations mentionnées dans le registre F/7/2585 donne quelques indications sur leur sort. Quarante-huit – soit plus d'un sur dix – décéderont, souvent peu de temps après leur arrivée, dans les « établissements disciplinaires spéciaux » d'Algérie, Bône dans un premier temps, puis Lambessa à partir d'avril 1851. Plus d'un sur dix (62) sont traduits devant les conseils de guerre pour tentatives d'évasion et surtout « insultes à supérieurs ». Dans ce cas, il arrive souvent qu'un transfert à la Guyane soit décidé, mais ce transfert est parfois exceptionnellement réalisé à la demande de l'intéressé : plus d'une trentaine (33 dont 30 « transportés incorrigibles commettant des actes d'insubordination et se refusant au travail » selon une note du bureau de justice militaire d'octobre 1856) seront ainsi déportés à Cayenne.
Les commutations de peine se font surtout dans le sens de l'internement ou de la surveillance dans la colonie. Les remises en liberté et grâces avant le décret du 20 mars 1856 sont peu nombreuses : huit en 1851, autour d'une dizaine les années suivantes, près d'une vingtaine en 1855. L'amnistie du 15 août 1859 mettra un terme définitif à la transportation.
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Référence électronique : Jean-Claude Farcy, Rosine Fry, Inculpés de l’insurrection de Juin 1848, Centre Georges Chevrier -
(Université de Bourgogne/CNRS), [En ligne], mis en ligne le 11 juin 2012 (adresse http://tristan.u-bourgogne.fr/Inculpes/WEB/1848_Index.html) puis le 20 juillet 2018,
URL : http://inculpes-juin-1848.fr/index.php